Initialement publié le 2016-04-13 réédité le 25 avril 2017
Je voudrais revenir brièvement sur cet article et en particulier sur le passage : » je me suis dit qu’il fallait que j’essaye « .
» Pourquoi diable, et quelle étrange nécessité vous y pousse ? « , me direz-vous. Eh bien, c’est parce qu’il y a une réelle différence entre penser un anneau de Möbius et le faire. Le faire, c’est entrer avec lui dans un rapport de connaissance différent, le plus simple et le plus direct, et pourtant sans doute le plus récusé.
Différent, mais en quoi, voilà une chose bien difficile à décrire. Je me pose par exemple une question à propos du geste que je fais en retournant la bande. Lorsqu’on fait un anneau de Möbius en textile, spontanément, cela donne un peu ça :

Prenons par exemple la branche oblique de gauche. Si je lui fais faire son tiers de tour non plus de façon à ce que le bout libre repasse par dessus lui-même, mais par dessous, ça donne à peu près ceci :

La bande ne fait plus alors un tiers de demi-tour à chaque virage, et l’anneau ne fait plus un demi-tour au total.
Avec le recul, c’est d’ailleurs un étonnement qui ne me quitte pas : Comment la bande peut-elle en arriver à avoir un demi-tour avec elle même à sa jonction ?
On me dira que la réponse est simple, c’est qu’elle effectue ce tiers de demi-tour en s’enroulant autour de chacune des 3 baguette avant de repartir. Certes. Mais :
- D’une part il est évident comme on peut le voir sur la photo, que c’est bien l’autre face du ruban qui apparaît après chacun des passages autour de la baguette. Le ruban a donc fait un demi-tour. En fait il fait trois demi-tours, et seul le troisième compte !
- D’autre part, si la baguette était plus épaisse, cet enroulement serait moins franc. Donc il faudrait une distance plus grande pour effectuer le tiers de demi-tour. Et si la bande s’enroulait autour d’une baguette de très grand diamètre, il lui faudrait effectuer une distance immense avant de revenir de son tiers de demi-tour.
A l’inverse, est-il possible de faire moins que trois tiers de demi-tour, d’ » aller plus vite » ? Bref…
Ce geste a certainement son équivalent en équations mathématiques. La sensation que j’éprouve est-elle alors » superposable » à ce qui se passe dans le cerveau du mathématicien ? Superposable au sens de la dernière idée évoquée à la fin de cet article.
Même perplexité à la lecture de la définition de la cardinalité (voir note 1 de l’article), vous vous en souvenez peut-être. Je voudrais extraire de la cardinalité sa dimension topologique, la dégager de la notion de » taille » ou d’ » ordre » que peut avoir le nombre porté par elle.
Ce n’est pas parce que 4 désigne conventionnellement une quantité » plus petite » que 5 qu’on ne peut pas associer un à un les doigts de la main et les points cardinaux, c’est plutôt parce qu’on se place d’un point de vue où on ne peut pas les superposer topologiquement. En effet, si on a cinq litres d’eau, on les divise en 4 paquets de gouttes égaux, et ça fonctionne, on peut associer.
Les Fils Aymond ont une spatialité qui permet cette superposition. Mais si cette spatialité ne vient pas du nombre 4, elle vient de nulle part ailleurs que de cette possibilité de se superposer aux points cardinaux.
C’est en ce sens que » cela fonctionne », comme le schéma des 3S ne » fonctionne pas « , parce que les petits bâtons ne sont pas attachés matériellement.
Il m’est venu une image à propos de cette expression. Mettons que d’un côté j’ai des équations physiques dont on se sert pour représenter les interactions entre particules, et qui finalement, ne donnent d’autre satisfaction que de ne prévoir que les situations similaires à celles dont on a extrait le modèle, ce qui finit par attirer le soupçon.
De l’autre, j’ai un trope, ou une cinématique, qui est de tirer un parapluie, par son bout ferrré, à travers les mailles d’un filet. Ma figure de savoir a beau paraître bête, elle fonctionne : Le parapluie va bien se replier « naturellement » lors du mouvement, et passer par le trou. Voilà ce que j’appelle une structure naturelle.
L’inversion de cette proposition, qui serait de passer le parapluie à l’envers, ne fonctionne pas. Même si ma figure de savoir semble vulgaire à côté des belles équations de la Physique, elle a sur ses cousines cet avantage qu’elle fonctionne.
De plus, si on lui fait subir une opération logique, l’ensemble fonctionne toujours : » Je vous propose de passer le parapluie dans un sens, vous êtes d’accord, mais le passer en sens inverse, pas d’accord. »
Ma figure de savoir est congruente à son expression linguistique, elle permet de conserver le lien d’analogie entre » sens / inverse » et » d’accord / pas d’accord », ce que, vous en conviendrez je pense, une équation de physique est bien loin de faire.
Vous savez maintenant que ce qui m’occupe est de caractériser cet espace. Et que de plus, je m’astreins à ce que cette caractérisation ne se fasse pas comme souvent par une objectivation, suivie de nommage, de mon objet d’étude, ce qui ne fait que redoubler son espace d’un autre espace, au sein duquel je travaille sur une copie vitruelle de l’objet.
Nous avons vu cela à propos des figures dessinées par terre.
Ici, je vais délier le propos, et repartir d’un autre point, qui vous semblera en rupture avec le contenu des lignes qui précèdent. C’est normal.
Je retrouve une trace de cet espace où se dessinent le liens de cardinalité dans un autre fossé, celui qui est entre la » vraie satisfaction « , ou du moins ce que j’en vois chez les autres (chocolat, chat…) et le pur devoir (payer de sa personne pour que quelque chose soit accompli, et ce sans retour).
Il y a quelque chose qui est entre les deux, sans doute une partie ce qui pousse certains chercheurs à continuer leurs recherches, ou les artistes à poser une oeuvre. Ce n’est pas un pur plaisir, pas un pur devoir non plus. On va me dire que c’est le bien commun, et qu’ils en espèrent une reconnaissance posthume. Ce serait une forme avancée de pulsion d’Eros, détournée quant au but, libérée de l’illusion de la rédemption, de l’intérêt social, économique ou culturel, autant que des satisfactions terrestres immédiates.
Elle implique un humanisme, qui nous permet peut-être de dépasser ce mouvement de la frontière Eros/Thanatos ailleurs que dans un plan dont cette frontière serait la limite entre moi et les autres. Là où il y avait une frontière, il y a un espace. Non par rétractation du caoutchouc, mais par construction d’une réalité commune, non pas admise ou concédée, mais réellement construite : co-structurée. (1)
Repartons encore d’un autre point : un autre » entre » est défini par l’espace constituant une couche que j’identifie parce qu’elle me semble identifiée chez d’autres, et par exemple dans une définition de la taxinomie qui m’a étonné, chez Rondal.
Moi qui limitait la taxinomie à l’ensemble constitué des deux espaces hyperonymie et hyponymie (2), voilà que Rondal nous livre [PHM] une curieuse définition :

L’affaire est en haut de la page 125. Nous sommes dans la phase où l’enfant progresse dans » l’identification des référents conventionnels des lexèmes ». Ce qui exige une » série de contacts avec les réalités référées, en simultanéité avec l’exposition à un étiquetage verbal répété et contextuellement diversifié ».
C’est simple et de bon goût.
Mais on va aller plus loin en tentant d’isoler les stratégies mises en oeuvre par l’enfant afin de réduire l’éventail des possibilités référentielles. On audrait pu mieux dire en disant : » pour mieux tirer parti de la combinatoire composée par ces possibilités contextuelles, lorsqu’il ne les maîtrise pas ». En effet, lors des contacts avec les adultes, l’exposition est le plus souvent subie. Dans les jeux entre enfants, on peut penser qu’il y a une part de » redite » lorsqu’on rejoue les scènes convenues, bref.
L’auteur énumère donc ces stratégies, et parmi elles surgit le » principe de taxinomie ». La définition entre parenthèses est assez curieuse.
» Les catégories lexicales sont composées d’entités semblables et non d’entités pouvant être associés thématiquement. »
On ne sait pas trop ce que sont les » catégories lexicales ». S’agit-il des » catégories de référence, les » réalités extérieures au langage » de la page précédente ? Mystère…
En opposition aux catégories syntaxiques dans le système nominal, il pourrait s’agir en gros de noms communs. Mais ces entités » semblables », ne peuvent pas être associées » thématiquement » (qu’est ce qu’un » thème » ici ?). Il me semble qu’on peut tout associer » thématiquement », c’est même un peu la base de l’association.
Donc les » catégories lexicales », dont on ne sait pas ce qu’elles sont, mais dont on sait qu’elles ne sont pas composées d’entités pouvant être associées thématiquement, par exemple les cuillers et les fourchettes.
Oui, donc les cuillers et le fourchettes…
» constituent deux catégories lexicales distinctes »
Certes…
» Quand bien même elles peuvent être mises en rapport dans les rangements, les comportements alimentaires etc. »
Donc le fait de ranger une cuiller dans le même tiroir qu’une fourchette ne fait pas l’obstacle qu’on pourrait penser à ce qu’elles constituent des » catégories lexicales distinctes. »
Quant aux comportements alimentaires en question, on se demande de quoi il peut bien s’agir, manger sa soupe avec une fourchette ?
Il y aurait une explication à découvrir dans un autre texte de Rondal, le développement du langage oral.
» Une deuxième hypothèse est celle de l’exclusivité mutuelle. Selon ce principe, l’enfant fait l’hypothèse qu’un nouveau mot s’applique à un objet dont il ne connaît pas le nom plutôt qu’à un objet dont il connaît déjà le nom (Markman & Wachtel, 1988). Les enfants suivraient déjà ce principe vers l’âge de 18 mois (Littschwager & Markman, 1994). A l’appui du principe, de nombreuses observations indiquent que l’enfant essaye de l’appliquer à tort. En présence d’une entité (par exemple, « chat »), l’enfant refuse que le gatto puisse être aussi un animale (terme superordonnant). »
Qu’est qu’une « entité » ? On suppose qu’il s’agit ici de l’animal réel, mais » chat » désignerait plutôt le mot que l’animal. Cet exemple par le contre-exemple est assez confus.
» Clark (1993) a proposé un principe proche selon lequel l’enfant ferait l’hypothèse que tout nouveau lexème a une signification différente de tous ceux qu’il connaît déjà. Ainsi animale et gatto s’appliquent à des référents partiellement identiques »
Un chat et un animal sont » partiellement identiques »…
» mais contrastant car animale renvoie également à d’autres entités au‐delà de gatto. »
On ne voit pas trop en quoi le » Ainsi » s’applique à un nouveau mot. Si oui, lequel est nouveau » gatto », ou » animale » ?
» Selon Clark, les enfants qui entendent des mots nouveaux pensent qu’ils désignent d’autres catégories que celles déjà dénommées et cherchent de nouveaux contrastes conceptuels susceptibles de justifier l’utilisation de ces nouveaux noms. »
» Déjà dénommées « , par qui, au cours de quelle période ? Dénommées dans quel usage, quel but ? Qu’est ce qu’une » catégorie » ?
» Le principe de contraste jouerait le rôle d’une contrainte conceptuelle‐pragmatique poussant l’enfant à construire de nouvelles significations. Par exemple, si un enfant connaît déjà un mot pour désigner un ensemble de référents (gatto qu’il utilise pour les « chats » et les « chiens ») »
Curieux, mais admettons.
» et qu’on lui propose un nouveau nom pour certains d’entre eux (« chats »),
Pourquoi lui proposerait-on pour désigner les chats un nouveau mot autre que » chat « , qu’il utilise de façon erronée pour désigner les chiens ?
» ce nouveau mot va l’inciter à créer des contrastes nouveaux permettant de distinguer des sous‐catégories dans ce qui n’était jusque là qu’une seule catégorie indifférenciée. Le principe d’exclusivité mutuelle serait lui une contrainte davantage lexicale. »
Davantage que quoi ?
» Une troisième hypothèse (dite contrainte taxonomique par Markman (1994) porte sur la nécessité de généraliser correctement tout nouveau mot, une fois appréhendé. »
Généraliser un mot, drôle d’expression…
» Les recherches montrent que le jeune enfant privilégie les généralisations taxonomiques par rapport à celles thématiques (Markman & Hutchinson, 1984 ; Golinkoff, Shuff‐Bailey, Olguin, & Ruan, 1995). C’est‐à‐dire qu’il constitue ses catégories lexicales en mettant ensemble des entités de même type »
Ah non, hélas, ça recommence… des » entités » , dont on ne sait rien. Des mots sans doute, mais qu’est ce qu’un » type « ?
» et non des entités fonctionnellement associables (ou souvent associées concatenativement dans le discours). »
Dommage aussi » fonctionnellement associables », je ne vois pas trop ce que c’est. « Associées concaténativement », c’est pas mal.
Bref, passons, je vais arrêter de cabotiner, ce qu’il veut dire c’est que l’enfant cherche une voie taxinomique dans l’issue à la question de réduire l’énergie déployée pour le positionnement du fameux lexème lors de l’apprentissage d’un mot nouveau, et on va ne garder que cette idée d’une taxinomie qui classe les couverts selon la façon dont on les range, ou leur usage…
J’avais déjà rencontré en fait cet angle d’approche dans la reconnaissance des formes, ainsi que chez Laurier, mais je pense que c’est la première fois que j’en rencontre l’idée associée à celle de » taxinomie ».
C’est un peu comme s’il y avait une couche » présémantique » entre la taxinomie » purement lexicale » des hyperonymes, et la couche » purement sémantique » de production de sens.
On pourrait alors parler de » gradient de sémantisation », dans un espace où ce qui serait à l’oeuvre serait une » mise en oeuvre » (désolé pour la répétition) des formes.
Cet espace, je le trouve X quelque part à l’espace qui sépare ceci

de cela :

Images piquées à Mlle. Zekira Djonko. En fait ces deux images représentent la même chose. La seconde, celle du tricot fini, est interprétée par notre cerveau comme des volutes, des formes en relief, elle est beaucoup plus riche.
Il y a donc un espace qui sépare le tricot du schéma, espace parcouru par le cerveau et les mains de la tricoteuse qui fait passer la chose de l’état de schéma conventionnel à celui de matière en 3D, et un autre espace, parcouru par notre cerveau de regardeur, qui fait passer les deux images en 2D (enfin, pas vraiment puisqu’elles sont courbes et que le cerveau en tient compte) inversées des rétines à la forme 3D qu’on voit » à travers » l’image 2D que vous présente l’écran.
J’ai écrit : » Cet espace, je le trouve X quelque part à l’espace qui sépare ceci « , parce qu’au départ, j’avais écrit : » Cet espace, je le trouve similaire quelque part à l’espace qui sépare ceci « . J’ai remplacé » similaire » par X, parce que je ne suis content de » similaire », mais je ne sais pas par quoi le remplacer.
Ces espaces sont en fait » au même endroit » (3), endroit qui est celui de l’interprétation, donc de la représentation. C’est dans cet espace que se déroule l’opération dont je parlaisici, c’est à dire que s’opère la rencontre entre les sèmes du lexique (et j’ai inclus les noms, passant par dessus les conventions syntaxiques puisque je suis précisément en amont).
Mais elle ne s’opère pas seule, précisément, cette rencontre. Un locuteur fait se croiser les signifiants comme les aiguilles à tricoter, il organise les rencontres, les frictions et les duels.
Il doit exister des gens qui sont capables de voir ceci :

en lisant cela :

C’est lors la transposition à l’œuvre ici que je garde de la cardinalité ce que je souhaite en conserver : Cette capacité à apparier des figures dans l’espace. Au cours de l’appariement, le trajet suivi par les points d’accroche (les points qu’on associe un à un pour comparer les cardinalités) font surgir le sens.
Lorsque ces points d’accroche sont « évidents » (quatre fils pour quatre points cardinaux par exemple)aux yeux du n-uplet (locuteur-culture-auditeur) (cf. « lire la chambre » pour les conditions), les trajets sont des droites ou disons qu’au moins les fils ne se croisent pas. Il y a une » mise à plat » du sens, et pourtant, c’est un sens de dire que la figure se fait en ligne droite.
Peut-être l’équivalent du » = » (égale) pur et simple que l’auditeur est prié de gober sans discuter. (Je ne reviens pas sur l’aspect propagande du langage, cf. les articles récents).
Et ce qui est curieux, c’est que dans cette » couche » présémantique, je me demande si ce n’est pas là que Lacan situait le signifiant. Qui n’est pas un signifiant au sens linguistique, malgré qu’on en raccroche l’origine à Saussure.
Le vrai signifiant, le linguistique, appartient au réel (c’est mon troisième espace du langage). Nous ne l’entendons même pour ainsi dire jamais puisqu’il est traité bien avant que nous en ayons conscience. Le vrai signifiant, c’est celui qu’on n’arrive pas à reproduire, typiquement, le phonème d’une langue étrangère pour l’adulte, parce qu’il eût fallu l’apprendre avant, la lettre japonaise entre le » r » et le » l », le signifiant c’est une séquence de ces choses.
Le signifiant pour Lacan, c’est une chose qu’on reçoit, ou qu’on utilise, qu’on tente de s’échanger entre sujets parce qu’il a une valeur, comme un monnaie, ou les têtes brûlées dans la cour de l’école, il n’a que sa valeur d’échange.
Ainsi les gens utilisent-ils » zen » pour dire quelque chose, mais lorsqu’ls prononcent ce son, ils ne prononcent pas le signifiant du signifié du mot japonais, ils prononcent le signifiant de l’idée française qu’on échange à l’aide de ce mot.
Mais on ne peut pas » manipuler » un signifiant linguistique, ce serait comme tenter de parler en rotant. On ne peut manipuler que des signifiés, en produisant tant bien que mal leurs signifiants associés, sinon, ça n’a aucun sens. Or les signifiants dont parle Lacan ne sont pas ceux qui ont un signifié.
Je vais prendre une autre image, en utilisant les noms propres, qui s’y prêtent bien. Si dans un certain contexte (atelier de dessin par exemple) un locuteur dit à un autre dessinateur par dessus la table » passe moi un carandache bleu », cela va fonctionner. Et pourtant, il n’utilise pas là le signifié attaché à ce signifiant linguistique, lequel signifié est : » une marque de crayons… » En effet il n’a pas dit » passe moi une marque de crayons ». Donc il n’a pas manipulé le signifiant correspondant (et je passe l’effet métonymie).
Il a employé un homophone de ce signifiant (puisque sans la majuscule etc), le signifiant au sens Lacanien du terme, c’est à dire un signe fonctionnel (efficace du point de vue des conventions en contexte).
Autre exemple pour s’extirper du bourbakier (elle me plaît, celle-là) : La mythologie. Si je vous raconte l’hitoire de Maurice et Daphné, je vais vous dire que Daphné était allée aux enfers, et que Maurice a voulu l’y aller récupérer. Et que Hadès a consenti, à condition que Daphné ne se retournât point avant d’être rentrée chez elle. Las, elle y faillit, etc.

Maurice conduisant Daphné hors des enfers pour la pécho
Vous savez bien que je me suis trompé, et que j’aurais dû employer les signifiants » Orphée » et » Eurydice « . Et pourtant les miens ont fonctionné en lieu et place. Ils ont pris la place laissée vacante par le contexte, sans coup férir, sans ajustement, ils se sont glissés par magie dans la pantoufle de Cendrillon. Mes signifiants valent bien les autres.
» Orphée » et » Eurydice » sont les signifiants canoniques, linguistiques. Ils fondent le système. Maurice et Daphné sont des signifiants » lacaniens » (c’est moi qui attribue temporairement) : ils fonctionnent comme signe que l’un agite pour signifier quelque chose à l’autre.
D’où la quasi superposition du signifiant au symbolique. Ou plutôt une double réduction du symbolique et du signifiant à un seul et même format. Mais ça a foutu une pagaille monstre (4).
Je suis d’ailleurs reconnaissant à M. Rondal de rétablir la primauté du signifié. Cela nous permettra de parler de sa partie symbolique plus tranquillement. On laissera le signifiant aux phonologues, d’où il n’aurait jamais dû sortir.
Bien donc, pour se résumer, qu’avons nous gagné au terme de cette incise ?
Le droit de se poser la question de savoir où est, et ce qu’est cet espace, ou l’espace du ce, comme je me plais à l’appeler maintenant (la petite danseuse à venir me servant de parafoudre pour la séquence). Nous avons vu il y a bien longtemps déjà que l’espace ontologique est à l’espace phylogénique ce que le soufflet est au chapiteau de cirque.
Pour qu’advienne l’espace où notre être se tiendra, les autres (mère, parents, éducateurs, etc.) nous tirent par le haut comme on tire un soufflet, un accessoire d’orgue, ou un accordéon. Ensuite, chacun de nous, muni de cette énergie potentielle, fait pression sur l’instrument, pour s’exprimer.
Petit à petit, à l’aide des accordéons morts, les hommes ont érigé des piliers qui soutiennent la toile du chapiteau, ce sont les diverses cultures folkloriques, celles des peuples et des langues, au sens où l’on dit » la culture berbère ». Ceci n’est pas une image, c’est la Réalité.
Ensuite, nous sommes reliés comme les alvéoles au poumon. Le poumon se soulève dans son ensemble comme un soufflet, et la société nous tient dans son ensemble, nous tire vers une extension ontologique. Chacun de nous, chaque alvéole, nourrit à son tour l’ensemble, crache des productions, et maintient le corps social en vie.
Mais cet espace, auquel chacun de nous n’a accès que par ce qu’il en a intériorisé, sa réalité, et qu’il prend, à des degrés plus ou moins graves selon sa pathologie et son état d’évolution, pour la Réalité, de quoi est il fait ?
De pas grand chose en fait, et même de rien. (Serait-ce le sens de » das Ding » au centre du tore de Lacan ?). C’est un espace capable de cristalliser à l’approche de nos connaissances, le passage de l’intuitif au formel, et de la théorie à l’objet. Nous avions projeté sur le monde le mythe du verbe créateur tant qu’il nous était impossible de l’admettre, mais il est bien en nous.
Munis de ce léger bagage, où allons-nous ?
(1) Je me plais à imaginer en effet que la sémanthèse a une base biologique (car que faire en un gîte à moins que l’on ne songe ?). J’observais récemment un enfant jouant au Monopoly, et répétant à sa victime la somme qu’elle lui devait.
Tous deux étaient visiblement pssédés de jouissance physique d’une part, de souffrance physique.de l’autre. Mais il me semblait que le bourreau n’avait pas eu à inventer, même de façon implicite, la figure de style de la répétition, il l’éprouvait, tout autant que l’autre enfant, qui endurait physiquement.
Dans le cas du supplicié, L’enfant ne souffrait pas tant de sa dette que de l’entendre son créancier la lui répéter de façon lancinante. Pour ce qui est de l’autre enfant, j’avais du mal à démêler dans quelle mesure le plaisir venait de la perspective de toucher une grosse somme ou bien de torturer son adversaire en lui assénant la sentence. Mais le verbe faisait office d’arme physique. Si en termes de classe, le juge venge la classe des refoulés quand il condamne un pervers qui s’est offert le luxe d’étaler sa pulsion au soleil, en termes individuels, la jouissance est physique, et non symbolique.
(2) Je signale d’ailleurs que je ne suis pas d’accord avec cette définition de la méronymie. » Un grain de sable » est un méronyme pour » un tas de sable » (ce que n’est pas » un gramme de beurre » à » un kilo de beurre »), mais les portières relèvent, selon le point de vue duquel on se place, soit de l’inclusion spatiale, soit de relations plus complexes comme » est une pièce détachée de « .
C’est d’ailleurs le mérite de la notion de méréologie, de soulever ce problème qu’elle prétend traiter. Vouloir ajouter » est une partie de » comme équivalent de » est membre de la classe de « , c’était rouvrir la porte à l’inclusion spatiale et aux autres démons qu’on avait eu tant de mal à jeter dehors pour avoir une notion de classe » propre ».
La définition d’une classe est arbitraire, aussi « naturelle » qu’elle paraisse. Le naturaliste pense avoir découvert une espèce d’oiseau, alos qu’il ne fait que nommer la portion d’un territoire de savoir. Parfois il est pris d’une lassitude, tandis que dans son sommeil, le bras engourdi par le poids du corps de son amante…
(3) Imaginons que les 3 dimensions de notre espace commun soient les dimensions 235, 236 et 567. Imaginons un autre univers lui aussi en trois dimensions, mettons les 234, 238, et 2. Certaines particules de la 234 ne pourraient-elles pas de temps à autres sauter à la 235, et apparaître ainsi sous forme de points ou de segments de droite dans notre univers ?
Rêvons un peu, si c’était les 235 et 236 qui étaient ainsi partagées d’un coup, alors un plan devrait apparaître dans notre univers, le coupant en deux en quelque sorte.
Vous allez me dire que vu le nombre de dimensions disponibles, il est peu probable que de telles collisions apparaissent. Je vous l’accorde. Néanmoins, existe-t-il une autorité de régulation des dimensions, afin f’éviter les conflits. En effet, si un tel mur se dressait dans l’univers, il risquerait de couper la planète Terre, et de provoquer des accidents de la route.
(4) Encore une fois, on peut imager la manoeuvre en termes topologiques : Si on prend deux images, l’une de 512×128 pixels, et l’autre de 128×512 pixels.

Chacune d’entre elles représente un motif harmonieux, le signifiant d’une part, et le symbolique de l’autre (dans le cas du lion, le signifiant est un peu bouffé mais bon),

Et chacune d’entre elles fait 65536 pixels.
On peut donc faire correspondre un à un les pixels de chaque image. Sauf que pour les » superposer » (ce qui correspond à les identifier dans le langage), il faut réduire les images à un format commun :

et

Faute de procéder ainsi, si on entreprenait la démarche, on se trouverait en manque de points sources/cibles au cours de l’appariement, en arrivant à la fin de la première ligne de l’image source/cible, selon ce qu’on a choisi.
Ceci dit l’opération d’apparier les images d’origine (non réduites au carré) reste non seulement possible, mais en fait, elle n’est pas moins plausible. En fait, lors de la réduction au carré, il » manque des points « , on retombe dans un paradoxe de Zénon, tentez de le faire avec des images de 300×200. Simplement, les chemins topologiques sont encore moins faciles à imaginer, j’ai donc réduit au carré pour simplifier.

In fine, si, arithmétiquement, on a bien une cardinalité commune qui permet d’apparier les points un à un, le trajet fait par chacun des points dans l’espace pour venir se superposer à son homologue, preuve que ça ne fonctionne pas.
On peut donc s’interroger, à rebours, sur la validité de l’opération intellectuelle qui a présidé à la mise en regard des notions. C’est pour cela sans doute qu’in fine, les champs sémantiques sont bien des champs » électromagnétiques » (de valeurs continues), permettant ainsi de ne pas recourir à l’idée de quantum, qui oblige à postuler quelque part un tourniquet de comptage des points (fût-ce de valeur de champ ) mais plutôt à celle de dynamique de variation où la valeur absolue n’a pas d’importance. Mais bon, là je m’aventure un peu…
Je mets juste ci-dessous les mêmes types d’images, en version non conformiste, pour faciliter au lecteur l’opération qu’il faut faire en réalité pour réduire le signifiant au symbolique, puisque, à vrai dire, aucun n’a vraiment de définition claire.
Partons de ce chef-d’oeuvre :

Isaac Israël, The Donkeyride
La situation serait donc plutôt celle-ci :

Les mêmes opérations sont effectuées. Découpe d’une partie de l’image, toujours au format 65536 pixels.

Réduction des deux images au carré :


Puis superposition du Signifiant au Symbolique :

Avouons que cela commence à ressembler à un rêve. Je plaisante, mais à moitié. Je n’exclus pas qu’il puisse se former dans le rêves des images » ambivalentes », pouvant être lues de plusieurs façons.(5)
Enfin, pour filer la métaphore jusqu’à l’épuisement poétique, on peut prendre l’exemple de cette fameuse scène du film La Galette du Roi, où Roger Hanin se réveille en sueur d’un cauchemar en criant » La main, le nain, la main, le nain ! ». Réplique prémonitoire et contradictoire, puisque celui à qui on a coupé la main devient par là « a-main », et non Ha-nin, tandis qu’il dira plus tard dans une autre production » Les Bittoun, on est comme les cinq doigts de la main ». La cardinalité reste donc au service du sens et non pas de la forme.
C’est ainsi que le langage contient à la fois toute offense et toute réconciliation, tout partage et toute superposition, et que la cardinalité est comme les étapes du début et de la fin d’un numéro de transformiste, toutes les étapes intermédiaires de la représentation étant possibles. Cela n’empêche qu’il faut les trouver.
Mais avant d’aborder les mécanismes de représentation, je voulais poser quelques balises.
(5) Et je ne dis pas » synchroniquement ». La synchronie, au sens strict, est un concept non fonctionnel, étant donné qu’on ne pourra jamais prouver que deux choses sont arrivées au même moment. La synchronie au sens large : » arrive dans une même plage de temps que » est un concept fonctionnel, mais on pourrait alors aussi bien parler de diachronie sur une plage restreinte…