Il y a une caractéristique du système qui n’a, à ma connaissance, pas été prise en compte par ceux que je connais des structuralistes, et cette caractéristique non vue se trouve être, ironie du sort, une caractéristique concernant sa structure même. Cette erreur a été responsable toujours selon moi de la gêne qu’on ressent dans la façon dont ils traitent la genèse des structures.

On a vu que, sur ce plan, statique, Piaget parle de structures-mères, comme si les niveaux du dessous en dépendaient par une histoire de seul degré de complexité, etc. On a vu aussi que dans la dynamique de leur vie, les structures s’engendrent par des mécanismes de transformation.

Ces deux traits s’appuient sur un présupposé (on le verra, en grande partie inconscient) qui est que tout ceci se développe en milieu ouvert, et que la réalité se plie à être, une fois sa structure démasquée par les « grandes découverte » des livres d’école, une figure à côté d’une autre, comme on compose un schéma dans un livre de géométrie.

transformation

Voilà. Dans l’univers ouvert de l’espace du langage, on peut poser n’importe quoi à côté de n’importe quoi, et établir entre eux n’importe qu’elle relation. Et on pense sans y revenir une seconde qu’il n’y a aucun problème pour que ce ne soit pas ainsi dans la réalité. La réalité est une boîte de cubes pour les enfants, il suffit de mettre les choses dans l’ordre, et elle obéit.

Dans la réalité, et c’est, entre autres, cette caractéristique de la réalité, en tant que structure mère s’il en est, qui a été méconnue : les choses ne sont pas alignées comme sur une feuille de papier. Elles ne sont pas séparées les unes des autres par un espace vide. Les structures sont imbriquées les unes dans les autres.

En tant que personne, nous nous définissons comme un tout, mais ceci est un pur effet de nommage. En réalité, notre personne est imbriquée dans notre couple, pour former un autre tout, qui est lui même imbriqué dans notre famille, ou dans nos voisins, selon qu’on considère l’imbrication « domestique » (relations pratiques du quotidien) ou psychique (relations affectives au long cours) etc.

A chaque niveau le « tout  » isolé par le nommage est imbriqué à l’intérieur d’une structure plus grande, et entre les deux structures, il existe des interactions. Ces interactions ont une caractéristique, hérité de l’aspect topologique de la précédente, qui est la subsomption. Je m’explique.

Imaginons chaque structure (nommée) comme une sphère. La surface de cette sphère (de ce mot) est pavée de x polygones. Lorsqu’une modification intervient dans la structure, le polygone correspondant à cet endroit bouge. Imaginons que lorsque la modification impacte la sphère de niveau supérieur, le polygone bouge de haut en bas, tirant ainsi sur une ficelle qui est reliée à un polygone de la sphère de niveau supérieur.

En termes d’organisation, c’est à dire de topologie de la théorie de l’information, il semble raisonnable de postuler que, si une telle structure sous-tend, disons, l’anthroposphère, alors nous avons quelque chose qui ressemble à ceci :

 

structures imbriquées a

Les polygones devraient être dessinés comme des portions de surface de sphère qu’ils sont.

En gros, cinq polygones de la structure vertes mobilisent un seul polygone de la structure rouge. L’information est synthétisée sous forme d’algos chers au informaticiens de la linguistique.(1)

Mais ce qui reste le principal, c’est que les structures, et donc les traitements, ne sont pas séquentiels, mais imbriqués, et donc, simultanés et interdépendants.

Les structures ci-dessus ne sont pas isolées dans l’espace, comme on a la mauvaise habitude de le dessiner.

structures imbriquées b

Il faut toujours les représenter imbriquées les unes dans les autres. Et donc, lors d’une interaction entre structures, un peu comme reliées par des fibres musculaires qui se contractent, une partie de la structure supérieure est mobilisée par la structure du dessous.

structures en action 2

Voilà, je vous laisse méditer sur les conséquences que cela a dans votre domaine, étant donné que la grammaire de cette partie reste encore à inventer, comme beaucoup de la topologie.

L’essentiel à retenir ici, c’est que pour couper le cordon, pour isoler la chair de la réalité, en faire des organes, il faut nommer. Le langage n’est pas un outil pour décrire la réalité mais à l’inverse un outil pour la créer, car sans lui elle resterait le chaos indistinct qu’elle est réellement.

Donc, dans le but de distinguer arbitrairement des choses dans le magmas, et à fin de pouvoir parler de ces choses, on les nomme. L’erreur a été qu’on a finit par croire qu’elles existaient réellement. Là est la Chute. Ce qui n’était qu’un effet du nommage est devenu l’élément d’une puissance constituante, laquelle lui a été attachée (2).

Il y a quelque chose qui se rapproche de cela, c’est la façon dont un motif voyage dans un ouvrage de dentelle, et je vais aller explorer de ce côté là, de la pointe artistique et créative, je vous confie le soin de l’autre côté, technique et propre (trucs parallèles…).

Ceux qui pratiquent la dentelle savent que, pour corriger une erreur, il faut parfois défaire des motifs qui ont l’air, et sont propres, comme peuvent l’être des parties de l’image du taquin, ceci parce que l’erreur remonte encore plus loin. De même un jour, il nous faudra peut-être remonter aux racines de la construction de notre système épistémologique pour corriger certaines conventions, qui furent prises de bon aloi et de bonne foi comme telles au début, puis s’enlisèrent dans la construction, et sont devenues si intrinsèques au bâtiment qu’elles nous semblent des évidences données de la réalité.

Par exemple le fait que nous avalons le tertium non datur indispensable au fonctionnement du langage, et que nous l’enterrons dans le ciment de notre édifice épistémologique apparaît  à ceux qui pratiquent les langues orientales, comme une possibilité qu’une langue soit moins impactée qu’une autre par une structure logique.

Idem pour la dualité avec les civilisations orientales.

Mais imaginons qu’il existe des fils encore plus profondément enfouis, par exemple les liens entre la représentation et la réalité. Là, c’est une nouvelle discipline, une immense discipline en soi qui se profile à l’horizon. Il n’est pas impossible que dans certains labos de recherche en physique dans le futur, le français soit banni au profit de certains langages graphiques.

 

 

(1) Ceci dit, il n’est pas sûr du tout que cette subsomption se fasse si gentiment, avec ses polygones « 5 pour un » en bouquets sagement répartis. Il est plus vraisemblable que cela tire des ficelles dans tous les sens, comme les axones du cortex cérébral.

 

(2) On entend dans cette émission, Pierre Restany dire :  » […] dès 1913, Duchamp, avec ses ready-mades,  c’est à dire en décidant de baptiser « sculpture », donc œuvre d’art un objet industriel de série, un porte-bouteille ou un urinoir, Duchamp fait basculer radicalement l’art dans la morale… ».

Baptiser, c’est bien, du même geste, nommer et circonscrire, c’est donner un nom, comme une filiation, à un territoire qu’on dessine à la craie. C’est, encore une fois du même geste, créer une chose parce qu’on donne un nom à ce territoire.  Si on se contente de tracer la frontière sans nommer la province ainsi constituée, elle n’existe que dans l’esprit du créateur, de l’artiste. En la nommant, on peut échanger avec les autres sa contrepartie nominale, comme une monnaie circule lors de sa vente.