Donc suite à ceci, une remarque à propos des dimensions de la taxinomie. La plupart du temps, on descend depuis le végétal vers la plante, puis la fleur, et enfin vers la couleur pour que, en ce qui concerne la tulipe, il y en a des roses, des noires, des blanches, etc.

Imaginez que je vous dise « Cette fleur est bleue, ce ne peut donc pas être une tulipe ».

Vous allez me répondre que c’est possible dans le cas où l’on n’a pas encore découvert de tulipe bleue. Là je vous réponds qu’il ne s’agit pas de cela, mais bien d’un présent de vérité générale, et que le fait pour une fleur d’être bleue l’empêche d’être une tulipe.

Il y a des liens entre les taxinomies qui sont de cet ordre, parce qu’ils sont d’ordre social. Si vous prenez ce phénomène qu’est le fétiche, par exemple les gens qui sont « fans de Johnny Hallyday ». On en a entendu nombre à la radio, lesquels sont dévastés par la mort de Johnny.

Le phénomène de mimétisme, qui provoque et renforce l’amour pour Johnny, se produit d’autant plus fortement qu’on va vers les zones sociales où il tient lieu de valeur de cohésion sociale. L’individu éduqué ne ressent pas fortement le besoin intérieur d’élever ses choix au rang d’idole, ce serait presque le contraire

Certes, on me dira qu’il se sent enclin à aimer Bach, voire Listz ou Mahler, plutôt que Johnny, mais ce n’est pas mon propos ici. Je pense qu’il n’éprouvera pas le besoin individuel, intérieur d’un lien charnel, qu’il faudrait plutôt comparer au sentiment par exemple, de défendre sa patrie, de mourir pour la France, dans d’autres classes.

Mais je le répète, je ne parle pas de l’habitus selon Bourdieu, qui produit pourtant les mêmes effets. Les personnes (2) de cette classe sociale sont contraintes d’éprouver du chagrin à la mort de Johnny, comme les fils de bonne famille le sont à mourir pour leur roi ou leur dieu. C’est ce qui cimente leur classe, puisqu’en effet, il  n’est pas difficile de comprendre que ce chagrin est le symétrique de l’affection éprouvée pour le fétiche de  son vivant.

C’est à dire qu’une caractéristique collective (telle classe aime Johnny) se trouve transformée en une exigence individuelle (le surmoi ?), et c’est ce fait que je compare à l’intervention d’un critère d’une taxinomie dans une autre taxinomie. (2)

Mais ce qui m’intéresse là dedans, ce n’est pas tant le pourquoi que le comment.  Pourquoi  le besoin est-il intériorisé ? Parce que l’exigence collective doit, on l’a vu, https://formesens.wordpress.com/2019/11/10/le-groupe-en-moi-i/ à un moment ou un autre, trouver un écho en moi, dans la mesure où j’appartiens au groupe. Au sens propre je lui appartiens, il fait de moi ce qu’il veut, mais par ma propre intercession.

C’est plus de le raccrocher à la double postulation, à la mienne du moins, pas celle de Charles. Rappelons qu’à tout instant, l’exégèse du monde s’appuie sur deux jambes, la cohérence de la métaphysique (je constate que l’eau grasse pénètre la peau mieux que l’eau) et un système cognitif stocké dans le langage (« lipophile » pour représenter l’idée d’appétence).

Ce qui m’intéresse c’est comment, lorsque le langage est déversé dans un esprit humain, en mode navibotelliste, il véhicule non seulement les structures de contrainte interne en vue du sens (syntaxe) surtout le savoir implicite que cette langue véhicule sur le monde et sur la culture qui la porte .

Comment le prolétaire français, en apprenant la langue française, a-t-il ingurgité, comme une pilule avec le verre d’eau, l’injonction à aimer Johnny ?

Vous allez me dire que j’ai donné la réponse, c’est le mimétisme social, et non l’acquisition de la langue. Et pourtant je pense qu’il y a des structures langagières responsables de ce phénomène. Quelque chose qui empêche l’individu d’écouter Johnny avec du recul, et l’engage psychiquement à jouir de cette musique, des spectacles, et du reste.

Ce quelque chose « gît » pour partie dans les assertions du genre « Johnny est le chanteur préféré des français selon un sondage… ». Dans ces assertions, le sujet singulier puise le savoir qu’il devra régurgiter au moment de demander un disque pour son anniversaire : « Il voudrait un disque de Johnny, il l’adore, il est comme son père », dira sa mère à sa propre belle-sœur avec un sourire attendri.  S’ils ne buvaient pas autant, ils seraient trop cute.

C’est ainsi, on l’a vu aussi, que se constitue la loi : parce que 90 % des gens trouvent une chose bien, cette chose passe en loi. Une fois cette chose passée en loi, chacun est censée la réintégrer, sinon en désir, du moins en modèle. Mais, c’est là qu’il y a un petit problème, ça marche moins bien qu’avec Johnny.

En passant par la notion d’émergence définie dans cette émission, https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/la-methode-scientifique-emission-du-mercredi-19-fevrier-2020 on voit qu’on revient à la question de l’échelle : L’individu porte en soi la responsabilité d’aimer ce que sa classe sociale aime, comme le singulier porte en soi statistiquement la responsabilité de porter une partie du collectif, on l’a vu avec le risque d’être malade chez Gerald Bronner. Mais si on zoome sur lui, cette propriété disparaît : chaque individu de cete classe présentera une affection aléatoire pour Johnny.

Mais là où je diffère des physiciens quantiques, c’est que, du fait que la classe (le flux de photons) présente 50 % d’affection pour Johnny, je ne déduis pas qu’une personne sur deux de cette classe l’aime à titre individuel. Je suis quelque part encore plus intégriste : le singulier est inobservable.

Je vais donc maintenant faire un détour par la physique quantique, mais je pense que vous me voyez venir : dans une civilisation, tous les aspects sont cohérents, ils se doivent mutuellement de l’être. Il serait impossible qu’en étudiant la civilisation grecque vous découvriez qu’elle soit furieusement athéiste dans sa littérature, alors qu’elle est pétrie de divinités par ailleurs. Bien.

Eh bien la façon qu’a notre civilisation d’être cohérente, c’est d’ajuster les meta-structures du savoir scientifique et du savoir philosophique. Nous croyons que le photon porte une partie de la responsabilité ondulatoire, de même que nous pensons que l’individu détient une partie du corps social, de sa vérité, et que cela lui ouvre droit à voter.

Et comme ce que nous pensons est vrai, comme nous projetons notre pensée autour de nous en guise de monde, c’est vrai. Si vous voulez toucher cette réalité avec votre cerveau, pensez à cette anecdote statistique.

Vous lancez une pièce de monnaie en l’air, elle retombe sur pile. La fois suivante aussi, et ainsi de suite toutes les fois. Statistiquement, cela n’a rien que de banal. Nous longeons l’arbre des possibles par une de ses lisières, comme une succession de pattes d’oie où on prendrait toujours à gauche.

Maintenant, tentez de sentir en vous cette question : Pourquoi, si tout à coup c’est face qui tombe après un très grand nombre de « pile » consécutifs, avons-nous l’impression que quelque chose s’est brisé, en tout cas beaucoup plus que dans le cas habituel, qui brise également l’arbre tout autant unique des tirages qui le précèdent ?

 

(2) Pour éviter le singulier, toujours inobservable, mais qui, ne l’oublions pas, souffrira d’autant plus de cette pression du corps social, d’autant plus qu’il ne souhaite, lui, individuellement, pas céder à ces injonctions, ce qui le place en porte-à-faux avec son entourage.